17 juin 2017

Marx et la poupée - Maryam Madjidi

Cela fait un moment déjà que j'ai terminé ce livre mais j'ai du mal à préciser mon impression après cette lecture. C'est sans doute le style de l'auteur qui me laisse ainsi indécise. Il ne s'agit pas d'un récit classique, mais plutôt d'une succession de tranches de vie, de celle de Maryam Madjidi qui quitte l'Iran avec sa famille à l'âge de 6 ans, pour rejoindre la France. On a l'impression de picorer dans la vie de l'auteure. On feuillette avec elle son album photos, des instantanés qui nous donnent à voir la douleur de l'abandon et de la séparation, puis la difficulté à se reconstruire. Mais ces instantanés ne m'ont pas laissés beaucoup de souvenirs, si ce n'est la réflexion de l'auteur autour de la langue, que j'ai trouvée très riche.

Marx et la poupée - Maryam Madjidi.
Editions Le Nouvel Attila, Janvier 2017, 201 pages.


Présentation de l'éditeur :

Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris.
À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets – donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes -, l’effacement progressif du persan au profit du français qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement, au point de laisser enterrée de longues années sa langue natale.
Dans ce récit qui peut être lu comme une fable autant que comme un journal, Maryam Madjidi raconte avec humour et tendresse les racines comme fardeau, rempart, moyen de socialisation, et même arme de séduction massive.

Marx et la poupée a reçu le prix Goncourt du Premier roman le 3 mai 2017.


Ma lecture :

Comme dans les livres de Philippe Delerm, il y a dans ce premier roman de Maryam Madjidi un mélange de poésie, de douceur et de légèreté à la découverte des images qu'elle nous offre. Si l'histoire est ici douloureuse, elle est racontée avec le sourire. Ce sourire, c'est un souvenir d'enfance avant l'exil. Le sourire d'une jeune femme qui semble avoir fait bien du chemin depuis ce départ forcé d'Iran. Quittant la tragédie iranienne, la famille atterrit en France où la petite Maryam, d'abord tétanisée par ce nouvel environnement, finit par acquérir son autonomie, affirmant son indépendance aussi par rapport à son histoire familiale.

Comme dans un journal, l'auteure partage les moments marquants de son histoire. Elle va à l'essentiel, nous offrant des pages révélatrices sur sa vie en Iran puis son arrivée en France où il lui faudra s'éloigner de ses racines, de la culture et de la langue de ses parents pour saisir la chance de son intégration. C'est le récit de ce débarquement en France qui m'a le plus touchée : la difficulté à intégrer une nouvelle école, un nouveau mode de vie, une nouvelle culture ; la timidité de l'enfant qui l'isole ; l'arrivée à Paris, dans un appartement minuscule, avec les toilettes sur le palier, et le moment où la petite fille réalise ce qu'elle a laissé en Iran, ses jouets mais aussi son innocence. Arrive ensuite le moment où la petite fille, passionnée par cette nouvelle langue, acquiert les codes de ce nouvel environnement, se fait des amis et construit petit à petit son monde à elle, loin de la culture de sa famille, rejetant dans le même temps la langue de ses parents.

"Tu t'acharnais à maintenir un lien entre ton pays et ta fille. Corde rongée par l'exil, ne tenant plus qu'à un fil. Et ce fil était la langue. Mais cette langue, je ne l'aimais plus car elle me faisait souffrir. Tu avais conscience que tu ne pouvais me forcer à l'apprendre. On ne force personne à apprendre quelque chose, ça ne rentre pas. Tu réalisais peu à peu que ce nouveau pays transformais ta fille, tu avais peur qu'elle devienne une étrangère ou plutôt de devenir un étranger pour elle, qu'elle n'ait plus rien en elle d'iranien et qu'elle ne t'estime plus parce que quand tu ouvrais la bouche pour parler français, tu avais l'air d'un idiot avec tes erreurs de syntaxe et de phonétique." (Marx et la poupée, Maryam Madjidi, Ed. Le Nouvel Attila, Janvier 2017, page 144)

La réflexion et l'expérience de Maryam Madjidi dans son rapport à la langue est très intéressante. Elle nous questionne aussi sur la place que nous laissons dans notre société pour les doubles cultures : n'est-il pas possible de s'intégrer sans renier ses origines ? N'est-il pas possible à tous ces enfants de s'intégrer en France sans devoir rejeter la culture de leurs parents, leur langue... quand ce n'est pas leurs parents eux-mêmes ? Ne devons-nous pas tous construire notre propre culture en amalgamant le mieux possible les principes éducatifs et de vie de notre père et de notre mère ? Ils ne sont pas toujours identiques et pourtant nous pouvons nous construire sans devoir rejeter l'un ou l'autre. Il me semble que dans les questions d'intégration aujourd'hui, la principale difficulté vient du fait que l'on nie l'identité de l'autre : on interdit à ces enfants d'être fiers de qui ils sont, eux et leurs parents. Comment se construire dans une société qui méprise vos origines, vos parents ou grands-parents, votre langue maternelle ou celle de vos aïeux... tout ce que vous êtes ? Une réflexion très forte, d'actualité dans tous les territoires un peu oubliés de nos villes, et qui montre aussi que l'on peut pousser bien droit tout en venant d'ailleurs.

"On efface, on nettoie, on nous plonge dans les eaux de la francophonie pour laver notre mémoire, notre identité et quand c'est tout propre, tout net, l'intérieur bien vidé, la récompense est accordée : tu es désormais chez les français, tâche maintenant d'être à la hauteur de la faveur qu'on t'accorde. Etrange façon d'accueillir l'autre chez soi. Un contrat est passé très vite entre celui qui arrive et celui qui "accueille" ; j'accepte que tu sois chez moi mais à la condition que tu t'efforces d'être comme moi. Oublie d'où tu viens, ici ça ne compte plus." (Marx et la poupée, Maryam Madjidi, Ed. Le Nouvel Attila, Janvier 2017, page 135)
Un beau récit, une agréable lecture, peut-être trop légère à mon goût, mais gageons que nous retrouverons bientôt Maryam Madjidi dans nos PAL. Un récit de l'exil très contemporain, à découvrir, pour réfléchir un peu.

D'autres avis chez Mots pour mots, Collection de livres, Alex mot à mots, entre autres.








1 commentaire:

  1. Un peu trop léger ? Tu as raison, même si pour moi, cette légèreté était la bienvenue.

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